Rôle de la Suisse dans le droit international et le Statut de Rome
Alors que la France accueille favorablement les sanctions américaines visant des groupes pétroliers russes comme une étape pivot du conflit, Kiev apporte une nuance. Pour Iryna Venediktova, ambassadrice d’Ukraine en Suisse, cette mesure n’est qu’un pas parmi d’autres, nécessaire mais insuffisant.
La diplomate rappelle que la Suisse a ratifié le Statut de Rome et pointe une impression paradoxale: « La Suisse a ratifié le Statut de Rome. Pour autant, aujourd’hui, c’est comme s’il n’y avait pas de guerre ici », affirme-t-elle.
Elle insiste sur le rôle que la Suisse peut jouer, non seulement en tant que nation neutre mais aussi en tant que signataire du Statut de Rome, qui reconnaît la compétence de la Cour pénale internationale pour juger des crimes de guerre. « En tant que pays qui veille à l’Etat de droit, elle doit tout faire pour mettre un terme à ces crimes », précise-t-elle.
Dans ce cadre, l’ambassadrice appelle à une mobilisation plus active pour protéger les populations et explorer comment renforcer la sécurité en Europe, soulignant que la Suisse se situe « au centre de l’Europe ».
Elle décrit la Suisse comme « un modèle très utile pour l’Europe » et rappelle que son équilibre culturel, linguistique et religieux lui confère une responsabilité sur la scène internationale. « Je pense que la Suisse peut faire bien plus pour rétablir l’ordre international », affirme-t-elle.
Le droit international et l’action suisse
Selon elle, la Suisse, en tant qu’acteur neutre et signataire du droit international, doit se mobiliser pour soutenir le droit et protéger les populations civiles, tout en profitant de sa position centrale en Europe pour favoriser le dialogue et l’application du droit.
Guerre de l’information et dimension culturelle
La diplomate met en garde contre les formes plus insidieuses de normalisation du conflit, notamment à travers la culture. Elle évoque la polémique autour de la venue, à Zurich, à cinq reprises, de la soprano russe Anna Netrebko. Accusée par l’Ukraine d’avoir apporté son soutien à des séparatistes pro-russes, l’artiste a été sanctionnée par Kiev.
« Là, on ne parle plus d’un cessez-le-feu ou de mettre fin à la guerre. C’est vraiment l’idée de blanchir des crimes de guerre », déclare-t-elle. Elle considère que la présence de Netrebko sur les scènes suisses va au-delà d’un choix artistique et constitue un enjeu géopolitique, associant la scène culturelle à une forme de propagande du Kremlin.
Pour l’ancienne députée ukrainienne, la question centrale demeure: comment parvenir à une paix juste et durable? « Réfléchissons à la manière d’éviter que les atrocités russes soient blanchies », lance-t-elle.
Le confort comme illusion et la vraie question
Interrogée sur son rôle dans la guerre de narration entourant le conflit, Iryna Venediktova assume pleinement une parole ferme. Elle affirme que chacun est impliqué d’une manière ou d’une autre: « Nous sommes tous des soldats dans cette guerre – vous aussi », lance-t-elle à son interlocuteur.
Elle rappelle ensuite que le confort a ses limites: « Malheureusement, avec cette guerre, il est impossible de continuer à vivre une vie confortable, croyez-moi. En Ukraine, on vivait aussi dans une bulle, mais celle-ci a éclaté avec les premiers chars, les premiers missiles et les premiers drones », affirme-t-elle, soulignant la rapidité avec laquelle la situation peut changer.
La véritable question, selon elle, est de savoir comment restaurer l’ordre international et prévenir l’effacement des crimes de guerre par les mécanismes de l’information et de la culture.
Propos recueillis par: Pietro Bugnon. Adaptation web: Miroslav Mares.