A Malley-Prilly, l’espace socioculturel La Demeure doit quitter les lieux
Sise au pied des échafaudages du nouveau quartier de Malley, entourée de barrières et de banderoles, la yourte de l’association Les Lents est devenue un élément marquant de la friche de Prilly. Mais elle doit être vidée d’ici le 30 novembre, et une fête de fermeture a eu lieu ce week-end.
Le lieu proposait diverses activités : cuisine ouverte toute la journée, cours de français, permanence médicale et salon de coiffure; environ une quarantaine de personnes s’y retrouvaient chaque jour et le lieu offrait un abri et un repas chaud à de nombreuses personnes.
« Ce sont beaucoup de personnes plutôt précarisées », explique Gab, bénévole à La Demeure depuis trois ans, dans La Matinale. « C’est comme une maison de jour pour des personnes qui n’en ont pas forcément. »
Une invisibilisation de la pauvreté et des publics variés
Majoritairement réfugiés, certains usagers sont sans-abri ou sans-papiers. Beaucoup expliquent que sans un espace comme celui-ci, leur quotidien serait encore plus difficile.
« Nous n’avons pas d’autre endroit où aller, donc ce lieu est vraiment utile pour nous en tant qu’immigrés africains en Suisse », témoigne Daniel, arrivé récemment du Nigeria. « Nous sommes loin de chez nous et nous avons besoin les uns des autres. Grâce à l’association, nous pouvons nous retrouver et nous rassembler. »
Gab, bénévole à La Demeure, rappelle : « Les premiers habitants vont arriver dans les tours qui se dressent juste à côté de nous, et on nous a bien dit qu’il ne fallait pas qu’ils aient la vue sur nous. »
La yourte n’a jamais fait l’unanimité à Prilly. Les autorités reprochent notamment d’y laisser dormir des personnes la nuit et évoquent des problèmes d’insalubrité et de nuisances sonores. Selon la commune, la structure sortirait de « son rôle culturel initial » en offrant gîte et couvert en journée à des sans-papiers. L’association, elle, affirme que sa vocation socioculturelle était présente dès le début du projet.
Il y a un an, trois ouvriers avaient été tués sur le chantier de Prilly-Malley.
Pour le syndic de Prilly, les nouvelles tours seraient incompatibles avec la présence d’un espace dédié aux sans-abris à proximité.
Gab dénonce ce qu’il appelle une stratégie d’invisibilisation de la pauvreté : « Les premiers habitants vont arriver dans les tours qui sont juste à côté de nous, et on nous a bien dit qu’il ne fallait pas qu’ils aient la vue sur nous. Donc certaines personnes parlent de pacification de la zone, mais selon nous, c’est pour la vider de toute sa vie. »
Gentrification et positionnement des autorités
Le syndic de Prilly, Alain Gillièron, assume le manque d’espaces d’accueil de jour dans la région lausannoise mais affirme qu’il est impossible de faire cohabiter La Demeure avec les futures habitations du quartier. Dans la presse, il a même soutenu que La Demeure avait « rendu les lieux attractifs » pour les sans-abris et que la friche était devenue « une zone de non-droit ».
Gab réagit : « Ce qui me rend très triste, c’est de voir que les gens ne voient pas ce que nous on voit. »
Pour le bénévole, cette situation illustre une gentrification progressive et une vision urbaine non inclusive. « Personnellement, c’est hyper difficile de voir que quelque chose que nous avons construit pendant des années va être détruit par des personnes qui ne sont pas sur le terrain », ajoute-t-il.
Un avenir possible à Renens ?
En début d’année, l’ultimatum posé à La Demeure avait donné lieu à deux interpellations, du Parti socialiste au Conseil communal de Prilly et du groupe Ensemble à Gauche de Lausanne, propriétaire du terrain, mais sans suite.
Cependant, l’association ne baisse pas les bras et a lancé une cagnotte en ligne en vue d’ouvrir un nouvel espace d’accueil baptisé Canopy. « On espère trouver un espace plus grand où l’on pourra construire le futur projet avec les personnes qui sont aujourd’hui à La Demeure », indique Gab. Des discussions sont en cours avec la commune de Renens.
Reportage radio : Camille Marteil. Texte web : Pierrik Jordan.