Une intervention médicale guidée par l’identité numérique
Dans le centre d’urgences numérique de Tallinn, Monica Jõekeerd, infirmière et cheffe d’équipe, reçoit une alerte pour une patiente souffrant d’une migraine persistante. Avant d’arriver sur les lieux, elle consulte sur sa tablette le dossier médical complet, puis obtient l’accord à distance de la patiente: antécédents, résultats sanguins, vaccination et traitements en cours.
Ces informations permettent d’administrer un médicament qui s’est avéré efficace dans le passé pour cette patiente.
« Les patients, en général, ne retiennent pas tous les noms des médicaments qu’ils prennent. C’est pratique pour nous: cela permet de vérifier rapidement. C’est très utile. »
Une administration 100% numérique
Depuis la fin des années 1990, l’Estonie a systématisé la numérisation de ses services publics. Chaque résident dispose d’un identifiant unique, utilisé aussi bien pour les démarches administratives que dans le secteur privé.
Oleg Shvaikovsky, l’un des architectes de l’e-Estonie, utilise la plateforme au quotidien: « Il est midi et je m’en suis déjà servi cinq fois. » Pour lui, l’infrastructure va au-delà de la simple praticité: elle constitue une assurance face à des menaces externes. « C’est notre façon de sauver notre pays, même si une partie du territoire est occupée. Parce qu’aujourd’hui, l’enjeu, ce n’est plus seulement le territoire, le peuple, mais les données. C’est ce que nous sommes, aujourd’hui. »
On rappelle que l’Estonie conserve une copie complète de son système, hébergée au Luxembourg.
Des préoccupations liées à la sécurité
La centralisation des données suscite des interrogations. Veiko Lember, professeur à l’Université de technologie de Tallinn, rappelle que les capacités de croisement et de calcul augmentent sans cesse et que la question est de savoir si le gouvernement peut garantir la sécurité dans un contexte géopolitique tendu.
Concernant la fiabilité du vote électronique, Olari Koppel, chancelier de justice adjoint, affirme: « Ces vingt-cinq dernières années, pas un seul cas de fraude ou de manipulation du vote électronique n’a été démontré dans les faits. »
Une référence européenne et les synergies avec la Suisse
Le numérique constitue l’un des moteurs de l’attrait estonien. Des chercheurs suisses évaluent l’écosystème et envisagent les enseignements possibles pour l’e-ID helvétique. Pascal Stöckli, de la Haute école spécialisée bernoise, observe que « cela fait 20 ans qu’ils disposent d’une e-ID, et l’on voit clairement tout ce que cela ouvre comme possibilités pour la société ». Selon lui, le déploiement suisse pourrait prendre du temps, mais constituerait « un premier pas » vers des services publics dématérialisés plus étendus.
Dans l’ambulance de Monica Jõekeerd, le constat demeure: plus d’une décennie après l’instauration de l’urgence numérique, la modernisation se poursuit et il serait impensable de revenir en arrière.